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Dominique Reynié, politologue

reynie1Dominique Reynié est né à Rodez voilà 48 ans. Professeur à Sciences Po Paris, il suit les traces de René Rémond dans son rôle de politologue et d’analyste des problèmes posés par la vie politique moderne.

Compréhensible car sans langue de bois, les médias ont du mal à s’en passer quand il leur faut un observateur impartial du politique. Il sait ainsi doucher les rêves comme celui d’un président Bayrou qui aurait réuni sur son nom les réformistes de deux bords car expliquait-il la droite et la gauche sont en France une donnée incontournable. Preuve de son indépendance, il agace aussi bien le pouvoir que les blogueurs contestataires.

« Je redoute la conjonction d’une situation historique tragique et d’une classe politique médiocre…”

Cultivant avec ardeur ses racines rouergates, cet Européen convaincu fut un « altermondialiste » avant l’heure. Il avait même créé à 18 ans une revue baptisée «Devenir » avec un ami. Revue qui tira deux numéros et dans laquelle il engloutit les 2000 francs gagnés à l’occasion d’une loterie organisée par le Crédit Lyonnais…
Face à la rupture que le monde vit aujourd’hui, il pronostique une période difficile durant 20/30 ans…Mais qu’on se rassure c’est un optimiste de nature !

Entretien donné le 17 juin 2008

Vous avez la fibre aveyronnaise ?
Oui, j’ai beaucoup d’amis et je cultive les réseaux. J’essaye d’aider les jeunes qui montent à Paris et qui me sollicitent sur des conseils. Ca prend du temps mais il faut le faire. Mais c’est vrai qu’on pourrait espérer un rajeunissement des réseaux aveyronnais notamment à Paris.

Justement, à voir tous ces jeunes qui quittent l’Aveyron, ne craignez-vous pas qu’il ne devienne un « pays de vieux  » ?
C’est inquiétant de voir ces territoires uniquement peuplés de retraités dont les seules activités seraient la muséographie et le tourisme. Ca n’arrive pas simplement en Aveyron, c’est en train de devenir le cas à Paris.

A propos de muséographie que pensez-vous du projet de musée Soulages à Rodez ?
Si on met de côté son coût, je pense que c’est bon pour l’Aveyron. Car ce pays ne doit pas se limiter au seul folklore du terroir. Il faut autre chose, dans la foulée du viaduc de Millau, j’avais, par exemple, proposé au Conseil général d’organiser un festival de la Robotique.

 Comment alors vaincre la malédiction de la désertification ?
Il faudrait des investissements massifs, mais dans les départements, comme on le sait, de larges parts du budget sont inévitablement destinées aux dépenses sociales, comme le RMI et l’assistance aux personnes âgées. Ce qui ne laisse pas grand-chose à investir.

Difficile aussi de remettre en cause cette tradition d’émigration des Aveyronnais ?
Les Aveyronnais ont une tradition de départ et ont toujours fait preuve de modernité en cela. Des membres de ma famille ont émigré en Californie en trois vagues : en 1900, dans les années trente et en 1945. Enfant j’ai ainsi toujours vécu avec cette image en tête de « l’Oncle d’Amérique.»Cet indicateur de détermination du caractère aveyronnais est intéressant. Il joue aussi pour ceux qui créent des entreprises, ce fut le cas de mon père qui créa une entreprise de plats cuisinés.
Mais il faut se demander aujourd’hui, si ce ne sont pas toutes les forces vives qui quittent l’Aveyron car la faiblesse des réseaux de transport aujourd’hui rend encore plus difficile l’enclavement géographique.

Où sont les dangers face à la rupture historique que le monde vit aujourd’hui ?
Considérez la conjonction de ces quatre points : fin des énergies fossiles, réchauffement planétaire, vieillissement démographique des pays occidentaux et donc immigration et enfin hausse du prix des matières premières alimentaires due aux milliards d’humains à nourrir. Alors, si en plus, on ne veut pas d’OGM mais tous une maison individuelle, on risque d’avoir un problème. En cela, je trouve parfois que les citoyens sont contradictoires et capricieux.

C’est- à-dire ?
Je pourrais être a priori plutôt indulgent pour les politiques face à la faiblesse des moyens qui sont les leurs, car le système échappe à tout le monde.

Qui peut prétendre aujourd’hui orienter ne serait-ce qu’un tout petit peu la marche du monde ?
J’ai beaucoup travaillé sur l’Etat et sa généalogie. Je n’ai guère confiance dans le comportement des hommes dans les moments où tout se dégrade. Je vois des mécanismes pervers à l’œuvre qui pourraient déclencher des mouvements de violence. Concrètement, face à la hausse actuelle du pétrole, je ne vois pas comment on peut faire. Or, en France comme ailleurs, chacun considère sa petite situation personnelle et ne pense qu’à sa propre condition. Du coup, le principal problème du politique pourrait bien être celui de l’ordre public. Malheureusement, quand le désordre s’installe ce sont les plus faibles qui trinquent.

Notre classe politique est-elle à la hauteur ?
Je redoute la conjonction d’une situation historique tragique et d’une classe politique médiocre qui ne touche pas simplement la France. Partout la parole politique s’est beaucoup affaiblie. La communication à tout crin a engendré l’ère du soupçon généralisé à l’égard des discours publics. Face à cette situation, nos gouvernants se trouvent contraints de manifester des signes exagérés de sincérité pour relancer la croyance dans la politique. Par gros temps, comme en ce moment, nous avons besoin de responsables politiques engagés, capables de susciter la confiance et d’entretenir une relation sincère avec les citoyens. Nous vivons un moment historique. Dans de tels moments, le lien social et le lien civique comptent beaucoup.

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(Photo : Place de la République, manifestation contre le CPE. mars 2006

A propose des OGM, quand vous observez les manœuvres d’entreprises comme Monsanto, ne pensez-vous pas qu’elles sont à l’origine du discours dominant tendant à démontrer qu’il n’y a d’autres alternative pour nourrir l’humanité que le recours aux OGM, sans donner leurs chances aux cultures vivrières dans les pays du tiers monde ?
On a tendance à chercher une causalité entre deux problèmes qui sont indépendants : l’existence d’entreprises comme Monsanto et la difficulté des habitants des pays tiers à vivre de leurs agricultures vivrières.Je ne sais pas si la population humaine dans sa quantité peut se nourrir en recourant aux cultures vivrières car il y a un épuisement des sols. Je sais que des entreprises comme Monsanto sont agressives, je ne peux que me réjouir quand je vois l’Europe mettre des entreprises similaires, comme Microsoft par exemple, en difficulté pour non-respect des règles de la concurrence. Notre problème, la question à laquelle il faudra bien répondre, ce n’est pas veut-on oui ou non des OGM, mais comment peut-on nourrir 10 milliards d’habitants ?

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Extrait tiré d’une tribune donnée à Mariane en novembre 2007 à propos de l’augmentation du salaire du président de la République.

«L’idée d’élus bien payés ne passe pas. On a beau faire valoir que sans indemnités, seuls des rentiers pourraient prétendre devenir parlementaires ; qu’imposer à nos élus de faibles indemnités favoriserait la corruption ; que présider c’est exercer une charge particulièrement lourde ; que nos voisins font autrement, etc., rien n’apaisera les Français sur ce point. Pour eux, la politique n’est pas un métier, mais une vocation et les revenus que l’on peut en tirer doivent être modestes parce qu’ils sont pris directement dans la poche des contribuables et que l’on ne fait pas de la politique pour devenir riche. Ce point de vue dominant nourrit un sentiment d’exaspération d’autant plus grand que les conditions économiques et sociales paraissent devoir se dégrader.
La décision de Nicolas Sarkozy de tripler son salaire est une prise de risque stupéfiante. Pour l’opinion, c’est un nouveau sujet de conversation qui n’est pas près de s’éteindre. À partir de maintenant, les Français vont regarder autrement leur président.»