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Le Café de Flore de Christophe Boubal

Entretien avec Christophe Boubal, petit-fils de Paul, et auteur de Café de Flore, l’esprit d’un siècle.

Comment expliquez vous cet engouement pour le Flore durant les années cinquante et soixante ?
Si le Flore est devenu un lieu privilégié de l’élite, c’est parce que mon grand-père, Paul Boubal, faisait corps avec son café. C’était la passion de sa vie. Boubal l’avait personnifié comme Marcellin Cazes personnalisait Lipp. Boubal vivait pour son café, il habitait en face, il le surveillait à la jumelle quand il était chez lui.

Pourtant ce que vous écrivez sur l’âge d’or du Flore, pourrait être repris pour décrire Lipp à la même époque car il s’agit souvent des mêmes clients ?
Tout ce qu’il y a dans ce livre, je le tiens, de mon grand-père avec qui j’étais très proche, de ma mère et de mon père. Il ne s’agit pas d’opposer les trois affaires germanopratines. Disons que les Deux Magots étaient davantage un lieu de passage, et Lipp, plutôt un restaurant. Au Flore, il y avait des groupes de travail, l’endroit est plus petit plus ramassé, il donne l’impression d’une présence permanente. Quand mon grand-père a racheté le Flore, il avait 31 ans, il était donc de la même génération que tous ses clients célèbres, c’est ce qui explique qu’il ait créé autour de lui un réseau de sympathies peut-être plus fort que d’autres avec les Prévert, Vian, ou Sartre. Même s’il n’avait pas un grand respect pour l’écriture. Il leur prêtait de l’argent, leur rendait service. Une fois par exemple, il a été chercher Blondin au “violon“. Comme il était toujours là, il faisait en sorte que tous ses clients se sentent bien, c’était un bon calcul pour l’avenir. Boubal qui était près de ses sous pour sa famille avait la réputation de prêter de l’argent aux clients (voir le dernier album de Tardi).

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(planches tirées de l’Album La Nuit de Saint-Germain-des-Prés, Léo Malet, Moynot)

boubalpJustement, la réputation du Flore a vraiment décollé avec l’Occupation. On ne peut pas vraiment dire que le Flore était un café collabo ?
Dans Paris occupé, le Flore avait la réputation d’être un îlot de résistance passive. Quand un Allemand entrait, les clients faisaient silence et il sentait vite qu’il n’était pas le bienvenu. Mon grand-père n’aimait pas les Allemands. Un jour, ma mère, alors petit petite fille, a bloqué le passage à un SS qui se rendait aux toilettes. Quand l’Allemand lui a demandé pourquoi, ma mère lui a répondu, que “c’était interdit aux Allemands parce qu’ils étaient méchants“. Les semaines suivantes, mon grand-père (ci-dessus de profil avec Juliette Greco) a quand même eut la frousse d’être convoqué.

Comment le petit fils du bougnat Boubal est-il devenu écrivain ? 

Comme ma mère, je suis allergique au commerce. Cela a fait le désespoir de mon grand-père. Car écrivain, je suis “passé à l’ennemi“, j’ai quitté la filière commerce pour devenir un client. Mais si je suis écrivain, c’est peut-être aussi à cause du Flore. Un jour mon père, qui avant d’être directeur du Flore, était instituteur d’origine Lozérienne, a présenté un de mes manuscrits à Roland Barthes. Ce dernier m’a encouragé à poursuivre dans cette voie.

Que reste-t-il des cafés aujourd’hui ?
J’ai beau être amoureux des cafés, il faut reconnaître que c’est un monde en décadence. Bistros et cafés se sont dépoétisés, d’abord il y a ce fond musical omniprésent. Les cafés sont les miroirs de la démocratie, quand elle est malade les cafés déclinent. Ce n’est sans doute pas un hasard si les cafés sont remplacés par des succursales bancaires ou des marchands de fripes. Les cafés disparaissent parce que les relations sociales s’étiolent.
Et qu’en est-il du Flore ? 
Il règne encore une poésie réelle au Flore à cause de la fidélité de sa clientèle. J’y retourne une fois tous les deux mois. Il continue d’attirer une élite. C’est vrai que c’est cher, mais il a une griffe et un historique, une qualité de produit et de service unique.

burmaChristophe Boubal
Café de Flore,
l’Esprit d’un siècle
Lanore Littérature